👋 Hello, c’est Julien !
J’espère que tu vas bien.
Bienvenue dans l’édition #29 de Screenbreak 💌
Ce numéro m’est inspiré par un livre : La tyrannie du divertissement d’Olivier Babeau.
Un ouvrage qui a complètement changé ma perception du temps libre et de sa valorisation à l’ère digitale.
🍔 Au menu
Une brève histoire du temps libre
Les 3 types d’occupations du temps libre
Hégémonie divertissante
Un catalyseur d’inégalités
Résister à soi
🕑 Temps de lecture : 7 min et 5 secondes
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Let’s go
📜 Une brève histoire du temps libre
Quand les humains étaient tous chasseurs-cueilleurs nomades, l’oisiveté était omniprésente dans leur quotidien. Oui, c’est surprenant.
Pour résumer : on dormait, on bavardait, et parfois, on allait chasser.
Nuance cependant, le temps libre (hors sommeil et chasse) était entièrement dédié au groupe.
Durant cette longue période paléolithique, il n’y a pas vraiment d’existence en tant qu’individu : on s’accomplit en faisant partie du groupe social.
Le bavardage, partie non négligeable de la journée, est une activité qui permet l’agrégation de chacun au collectif.
L’activité oisive ne pouvait alors pas se comprendre comme un choix personnel et arbitrable ; elle s’inscrivait toujours dans le cadre très codifié et contraignant des rythmes et rituels de la tribu.
Puis, vint la sédentarité avec le néolithique.
La vie a cessé de s’organiser autour de cette oisiveté. Désormais, il y a l’agriculture et l’élevage.
Le travail se conjugue alors à la vie, et les moments de repos sont beaucoup plus rares.
À partir de cette période, le temps libre devient pour toujours une ressource dont il faudra gérer la rareté.
L’apparition du loisir coïncide avec son rationnement : il y a une hiérarchie sociale que le loisir traduit et renforce.
Il devient marqueur de pouvoir, et instrument de son maintien.
Avance rapide.
Au XIXè siècle, pendant la révolution industrielle, le travail représente en moyenne 4000 heures par an par personne.
Il représente 1400 heures annuelles aujourd’hui.
François-Xavier Oliveau, dans son ouvrage La crise de l’abondance, nous dit qu’en moyenne 👇
En 1841, on travaillait 70% de sa vie éveillée (donc hors sommeil)
En 2015, seulement 12%
Quelques raisons en vrac : les 35 heures, la retraite, les week-ends, et l’espérance de vie qui s’allonge progressivement.
On a de ce fait assisté depuis le XXè siècle à une véritable explosion du temps libre.
Pourtant, Olivier Babeau pose ce constat inquiétant de l’époque actuelle, qui fera la thèse de son livre :
« L’humanité n’a jamais eu autant de temps libre dans son histoire, et pourtant elle ne l'a jamais aussi mal employé ».
⏳ Les 3 types de temps libre
Une vie de 80 ans, c’est 29200 jours, soit 700 800 heures. Pas si énorme vu comme ça.
Ces dernières décennies, nous avons ardemment gagné du temps libre dans nos vies, si bien qu’il domine désormais.
La question se pose alors : comment disposons-nous de ce temps arbitrable, de ce temps qui nous reste ?
C’est une question fondamentale qui est très peu discutée collectivement : il n’y a pas de politique du loisir, d’éducation au loisir.
Nous n’apprenons pas à le valoriser. Serait-il un cadeau empoisonné ?
Fun fact : au début du mandat de François Mitterand, un ministère du Temps libre fût instauré. Il dura trois ans (1981-1984).
André Henry, le premier des ministres, conduira la mission « de conduire par l'éducation du temps libre, une action de promotion du loisir créateur et de maîtrise de son temps »
Ce temps arbitrable, Olivier Babeau le classifie en trois types, qui se sont distingués au fil des siècles 👇
1. Le temps pour les autres
Cette catégorie regroupe toutes les activités sociales, amicales et familiales. Le temps de l’appartenance au groupe, à la vie en société.
Ce temps était encore plus déterminant auparavant, où la place de la vie collective et/ou courtisane était prédominante.
2. Le temps pour soi
Dans la Grèce Antique, c’était la skholè, ou le loisir studieux. Il regroupait les activités qui permettaient de s’élever, de se perfectionner et de devenir bons citoyens.
Seul l’élite y avait droit et pouvait en bénéficier (leurs esclaves leur servait à libérer du temps…)
Aujourd’hui, il désigne au sens large toute activité qui nous améliore, nous émancipe, nous instruit.
Exemples : la lecture, le sport, la méditation, mais aussi les activités culturelles et artistiques.
3. Le temps hors de soi
Il regroupe des activités qui nous éloignent de nous-mêmes.
Il est passif, s’épuise dans l’instant, et ne permet pas de progresser sur soi ou son rapport aux autres.
Ce temps est symbolisé aujourd’hui par le scroll sur Instagram ou le binge-watching Netflix.
On passe le temps.
Ce sont évidemment des idéaux-types. Des croisements sont possibles.
Par exemple, regarder une série avec un groupe d’amis. Ou regarder un documentaire enrichissant sur YouTube.
Notre époque a vu un déséquilibre croissant entre ces 3 types d’occupations, et a érigé en maître l’un d’entre eux.
Le temps libre est phagocyté aujourd’hui par le temps hors de soi, que l’auteur appelle divertissement.
Mot utilisé ici car il vient du latin divertere, qui signifie « détourner ». Blaise Pascal en parlait comme quelque chose qui « fuit l’essentiel, cherche à échapper à soi ».
Le divertissement est un ogre, et se goinfre : à mesure qu’il grignote du temps de cerveau disponible, celui dédié aux autres et à l’amélioration de soi diminue.
Et ceci n’est pas sans conséquences.
📱 Hégémonie divertissante
Avec la technologie et son bras armé, l’économie de l’attention, le divertissement domine désormais nos loisirs.
Grâce à une puissance d’attraction vertigineuse.
On a au bout des doigts un buffet à volonté numérique, sans contrainte de temps ou d’accessibilité.
Pour te donner une idée de la taille de ce buffet, regarder toutes les nouvelles vidéos publiées sur YouTube en un jour prendrait 82 ans sans interruptions.
Le pouvoir de séduction du divertissement siège dans nos vulnérabilités psychologiques : la recherche du moindre effort et du plaisir immédiat sont profondément ancrés dans nos gènes.
Étant attirés comme des aimants, ces géants technologiques capturent une partie grandissante de notre temps en jouant sur ces failles.
Voici en 2023 des chiffres d’utilisation de certaines apps (par utilisateur français par mois 👇
Le Français moyen passe 60% de son temps libre devant un écran.
Bien sûr, tout le monde en a besoin de moments de délassement. Le problème se trouve dans l’excès et le déséquilibre.
Malgré l’augmentation significative du temps libre, on se rend compte que ce n’est pas son volume, mais sa substance, qui en fait la valeur.
Le trop-plein de divertissement, accéléré par les technologies de l’attention, engendre une certaine passivité.
Un état de transe devenu habituel, que je décrivais dans l’édition sur Netflix et les séries.
Surtout, une propension à la facilité et au confort permanents. Il participe de ce fait au désenchantement et à l’apathie.
Une pauvreté du sens émane des loisirs qui ne construisent rien.
« Les enfants de l'abondance ne trouvent plus de sens ni dans le travail, ni dans le loisir » - Olivier Babeau
A contrario, le loisir studieux, qui vise l'enrichissement personnel et l’amélioration de soi, est celui qui donne du sens, qui remplit l’âme.
Moins attirant sur le moment, il est pourtant garant d’un long-terme plus équilibré et épanouissant.
Aldous Huxley, dans « Le meilleur des mondes » (1932), nous prévenait déjà. L’auteur Neil Postman nous dit à ce sujet 👇
Orwell craignait ceux qui interdiraient les livres. Huxley redoutait qu'il n'y ait même plus besoin d'interdire les livres, car plus personne n'aurait envie d'en lire. Orwell craignait ceux qui nous priveraient de l'information. Huxley redoutait qu'on ne nous en abreuve au point que nous soyons réduits à la passivité.
Le temps libre est une affaire sérieuse.
⚖️ Un catalyseur d’inégalités
« Le succès dépend davantage de la façon dont on occupe son temps libre que de la façon dont on occupe sa vie professionnelle. » - Olivier Babeau
L’auteur refuse la distinction classique entre un travail qui serait forcément aliénant, et un loisir qui serait forcément émancipateur.
La bonne gestion de ce temps arbitrable est cruciale dans la construction d’une personne, et dans son émancipation. Dans sa réussite et son bien-être.
Un usage déraisonné du temps libre amplifie les inégalités entre les personnes :
Qui en tirent profit
Qui n’en tirent rien
Cette fracture s'accentue à l'ère du « capitalisme cognitif » : les avancées technologiques nécessitent une élévation constante de nos capacités intellectuelles et une aptitude à générer de la valeur ajoutée.
C’est pourtant précisément ce que l’on est en mesure de perdre en s’aliénant à l’excès au divertissement.
Ce que l’on consomme peut nous consumer. 🚬
On a perdu de la force musculaire à l’époque du néolithique, parce qu’on a inventé le feu et l’agriculture, donc notre mode de vie nécessitait moins de puissance physique.
Aujourd’hui, malgré qu’elle nous permet de faire des choses exceptionnelles, la technologie met en péril certaines capacités cognitives, comme la concentration ou la propension à faire des efforts soutenus.
« La société d’abondance qui est devenue la nôtre, où tout semble conçu pour épargner à l’individu le moindre effort — y compris celui de penser, avec les percées récentes et fulgurantes de l’IA, commande désormais l’urgence de résister au piège de la facilité » - Olivier Babeau
Il est très facile et tentant de s’enfermer dans cette tyrannie du plaisir immédiat.
J’ai fait d’ailleurs cette semaine un petit exercice de prospective dans l’édition de Futur(s), la newsletter de Noémie Aubron.
J’y écrivais qu’un gouffre est amené à se creuser entre ceux qui maîtrisent leur attention et leur temps, et ceux qui subissent la distraction continue.
À mesure que cette capacité devient un luxe, elle se transformera en un marqueur social distinctif.
Les individus capables d'échapper au piège des gratifications instantanées sortiront du lot.
Voici une citation du livre qui m’a marqué :
« Le fardeau de l’individu contemporain a une forme paradoxale. Tout est fait pour lui épargner le moindre effort, y compris celui de penser. Il ne doit pas craindre les obstacles, mais au contraire redouter leur absence. »
🛡 Résister à soi
Début 2023, je ne lisais plus, je n’écrivais plus, et je faisais moins de sport.
En revanche, mon temps d’écran « passif » avait considérablement augmenté.
Cela coïncidait étrangement avec une période où j’avais l’impression de toujours courir après le temps, et où il m’était difficile d’y trouver un sens.
L’introduction à cette classification du temps libre en 3 types a fait office d’électrochoc.
Elle a mis en évidence ma tendance à privilégier des activités, souvent digitales, qui me détachaient de moi-même, m'emmenant loin de ce qui pourrait véritablement nourrir mon esprit et mon corps.
Après la lecture de ce livre, j’ai fait un véritable état des lieux de mon temps libre.
Et surtout, j’ai compris le le défi que nous impose l’économie de l’attention : résister à soi pour reconquérir son temps.
Cela nécessite la mise à distance du plaisir immédiat, par tout type de friction. Et l’entraînement de son auto-discipline pour minimiser ses distractions.
Et évidemment, en bonus : des éditions de Screenbreak pour mieux gérer son temps et son attention à l’ère digitale 😉
Aujourd’hui, c’est ce que je t’invite à faire : l’état des lieux de l’allocation de ton temps libre.
Est-elle alignée réellement à tes intérêts long-termes et tes valeurs ?
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C’est tout pour aujourd’hui !
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On est 983, plus que 17 avant la barre symbolique des 1000.
A la semaine prochaine 💌
Julien
Sources :
Hello, je ne sais pas vraiment comment je me suis retrouvée abonnée à ton contenu (sûrement avec Ristretto ?) mais quelle belle découverte ! Tu m'as mis un électrochoc de conscience à 8h du matin, je ne m'y attendais pas. Je pense que je vais passer une partie de mon temps libre de ces prochains jours à rattraper les éditions précédentes ;)
J'ai adoré cette édition !
J'avoue que moi je me mets à juger les gens qui ont tout le temps leur téléphone à côté d'eux, quand on est ensemble, en groupe, ou encore pire en tête à tête.
Franchement, je trouve ça dingue que les gens ne soient pas capables de s'en détacher le temps de quelques heures pour être pleinement présent dans l'interaction avec les autres...