👋 Hello, c’est Julien !
J’espère que tu te portes bien.
C’est déjà l’édition #23 de cette newsletter. Bienvenue à tous les nouveaux lecteurs 💌
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Si tu le veux bien, laisse-moi te transporter il y a quelques années.
Février 2018. La série « La Casa de Papel » est sortie un mois auparavant sur Netflix.
Je suis venu voir un copain au Luxembourg, où je n’avais jamais mis les pieds, et que j’étais curieux de découvrir.
On a passé le week-end à regarder tous les épisodes, quasiment sans s’arrêter. On est presque pas sorti de chez lui.
Des années plus tard, on en rit encore.
Expérience révélatrice d’un phénomène devenu monnaie courante dans nos vies, j’ai voulu creuser cette semaine la révolution Netflix, et tenter de comprendre ses mécanismes et ses enjeux.
📝 Au programme du jour
Netflix, en bref
Behind the scenes
Un symbole du capitalisme attentionnel
Le piège de l’escapisme
Quête intentionnelle
🕑 Temps de lecture : 6 min et 53 secondes
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C’est partiiii
📜 Netflix, en bref
L’humanité a passé plus de 93 milliards d’heures sur Netflix, soit presque 11 millions d’années.
Et ça, uniquement pendant les six premiers mois de 2023. Vertigineux.
Netflix en a même fait un rapport 👇
Comment Netflix est devenu incontournable ?
Flashback : en 1998, Reed Hastings et Marc Randolph lancent une plateforme en ligne de location et d’achat de DVD, livrés à domicile.
C’est seulement en 2007 que Netflix lance son offre « à la demande » de streaming que l’on connaît aujourd’hui.
Netflix s’est depuis imposé internationalement sur ce marché en produisant son propre contenu, et en achetant les droits de films et séries iconiques pour les distribuer dans son catalogue.
Dès 2013, les créations originales deviennent un axe fondamental pour Netflix. Quelques exemples qui ont fait passé un cap à la plateforme :
2013 : House Of Cards
2016 : Stranger Things
2017 : La Casa de Papel
2021 : Squid Game
Et aujourd’hui ? Voici quelques chiffres 👇
260 millions d’abonnés dans le monde (sans compter les personnes qui utilisent le compte d’un tiers)
63% des Français utilisent Netflix en 2023 (61% en 2022)
61 min/jour de visionnage en moyenne aux US
31,6 milliards $ de CA (2022)
Comment Netflix s’est-il taillé la part du lion ?
Tout a débuté en révolutionnant les habitudes de visionnage des spectateurs.
🍿 Behind the scenes
Netflix, imité plus tard par ses concurrents, a favorisé la démocratisation d’un nouveau comportement : le binge-watching.
Littéralement, un visionnage boulimique, frénésique.
Défini comme le fait de regarder un contenu audiovisuel de manière prolongée, souvent des épisodes d’une même série.
D’ailleurs, l’expression « to go on a binge » veut dire se mettre une cuite en anglais.
C’est de la consommation en rafale. On se gave.
Netflix a popularisé, grâce à quelques spécificités, une nouvelle manière d’interagir avec les films et les séries.
J’en retiens 4 principales (il y en a sûrement d’autres) 👇
La délinéarisation : on peut regarder ce que l’on veut dans le catalogue, quand on le veut. Il n’y a plus de « direct ». Pas de contrainte. Finis les feuilletons du mardi soir que l’on attend avec trépidation.
La mise en ligne simultanée : l'accès immédiat à une saison entière, au lieu d’attendre chaque épisode.
Le post-play : l'enchaînement automatique des épisodes permis par Netflix. On enlève de la friction.
La personnalisation de l’expérience : on peut skipper le générique de début et de fin, on peut changer la vitesse de lecture (depuis 2020). Bref, on peut faire évoluer nos habitudes de visionnage en fonction de nos envies.
En changeant la manière dont le contenu est produit, présenté et consommé, Netflix a posé les bases d'une nouvelle ère de consommation audiovisuelle, où la liberté de choix et l'immédiateté règnent en maître.
C’est une transformation culturelle majeure.
🧲 Un symbole du capitalisme attentionnel
Le CEO de Netflix, Reed Hastings, avait dit lors d’une interview que son concurrent principal n’était ni Prime Video, ni HBO, ni YouTube, mais le sommeil.
Moins de temps diurne de cerveau disponible, il faut maintenant aller grignoter sur le temps nocturne, et repousser l’heure du dodo.
La Français moyen a d’ailleurs perdu 1h30 de sommeil en 30 ans.
Cette phrase est le symbole de la violence de l’économie de l’attention.
Ce que j’ai trouvé flagrant, c’est que ce genre de propos venant du CEO est dit avec un réel sentiment d’impunité.
Et en effet, Netflix s’est infiltré avec passion dans la bataille pour l’attention, où l’exploitation du temps de cerveau est un gisement de profits potentiels.
Pour la saisir, puis la garder, la plateforme s’appuie sur un arsenal de stratégies ingénieuses.
D’abord, des algorithmes de recommandations très sophistiqués, dont la puissance augmente à mesure de nos sessions.
De plus en plus affûtée, la plateforme fidélise avec une précision chirurgicale.
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Cela ne se limite cependant pas aux algos. Romain Blondeau, auteur de l’essai éclairant Netflix, l’aliénation en série estime que la plateforme façonne aussi le contenu qu’elle produit pour maximiser le captage de l’attention.
Les choix de mise en scène, l'usage systématique de cliffhangers, un rythme frénétique de narration, et des changements de plan ultra-fréquents, font partie de la recette utilisée dans les Netflix Originals.
Une uniformisation stratégique, mais qui a un prix.
« Netflix a créé une perte de sacralité à la fois dans notre rapport aux images et à la fiction, et dans notre pratique de consommation. » - Romain Blondeau
On n’a plus le temps de réfléchir à ce qui vient de se passer, ou à anticiper ce qui va arriver.
Il n’y a plus ces moments de latence, nécessaires à la « digestion de l’histoire » et à l’esprit critique.
Cela nous invite à questionner le coût réel de notre temps de divertissement.
En novembre 2022, Netflix (en proie alors à des difficultés de rentabilité) a lancé une nouvelle offre d’abonnement moins chère, mais avec des publicités durant le visionnage.
Une option se rapprochant du business model des réseaux sociaux.
C’est un carton 👉 presque 1 million d’abonnés en France, et 40% des nouveaux abonnés choisissent cette option.
Bonus : Netflix a introduit depuis début 2024 une nouvelle politique ⤵️
« Après trois épisodes regardés à la suite, les abonnés pourront regarder le quatrième épisode sans pub. »
Une incitation de plus à binger.
🎣 Le piège de l’escapisme
L’humain a un mécanisme naturel de défense : il veut éviter les situations d’inconfort, de malaise interne.
On se cherche naturellement des échappatoires au stress, à l’ennui, à la fatigue.
Netflix apparaît comme un refuge facile pour « l’escapisme » : cette propension à fuir la réalité pour oublier ses préoccupations.
Le binge-watching incarne parfaitement cette fuite, se révélant comme une manifestation tangible de notre désir d’oubli temporaire.
C’est un sanctuaire séduisant : un vortex de passivité qui permet de s’échapper au monde pendant quelques heures.
Au fil des épisodes, on ne fait plus qu’un avec le canapé.
C’est une porte de sortie instantanée : on peut y aller sans attendre et sans faire d’efforts.
Bien sûr, on ne bingerait pas si l’activité nous était désagréable sur le moment.
L’inclinaison à cette évasion numérique est nourrie par la sécrétion de dopamine, libérée en rafales pendant nos sessions Netflix.
Le signal qui dit à ton cerveau : « Continue, c’est bien ce que tu fais ! »
Cette stimulation constante agit comme un distributeur de plaisir instantané, et vient perturber notre circuit de récompense.
Après la fin de la session cependant, c’est le crash.
Le cerveau va alors vouloir réitérer l’expérience et rechercher plus fréquemment son shoot de dopamine, et il aura reconnu Netflix comme une source de doses considérables.
Petit à petit, le comportement se renforce, c’est l’accoutumance.
L’intentionnalité disparaît progressivement : on se retrouve devant l’écran non plus par volonté, mais par réflexe.
Attirés comme des aimants, à chaque petit moment de stress ou d’inconfort.
L’environnement numérique d’aujourd’hui nous permet de « binger » à une échelle sans précédent 👉 il n’y a pas de limites pratiques qui nous forcent à attendre ou stopper.
L’évasion de la réalité n’a jamais été aussi simplifiée.
Ce cycle crée un circuit neuronal qui privilégie la facilité, optant systématiquement pour le chemin de moindre résistance.
Plus nous empruntons cette voie, plus il devient ardu d'en sortir.
Netflix, Tiktok, Instagram et consorts sont-ils devenus « l’opium du peuple » ?
🍀 Quête intentionnelle
Dans le livre « la Guerre de l’Attention », Florent Souillot et Yves Marry nous disent très justement :
« L’économie de l’attention nous a transformés en agents de notre propre aliénation. »
Le problème n’est pas tant Netflix (et ses concurrents) en eux-mêmes, mais ce qui sous-tend leur consommation excessive.
Une lecture automatique de plusieurs épisodes, sans faim ni fin, c’est là que ça devient problématique.
Il ne s’agit pas seulement du temps passé devant l’écran, il s’agit d’être conscient du temps que cela fait disparaître.
Encore une fois, le maître-mot revient : celui de l’intention. `
Une fois qu’on a pris conscience de la philosophie de l’économie de l’attention, c’est la responsabilité de chacun de réfléchir à ses habitudes, ou d’accepter la servitude.
Quelques pistes que j’ai mis en place concernant Netflix 👇
Décocher la lecture automatique de l’épisode suivant
-Aller sur Compte dans le bouton en haut à droite
-Ensuite, dans Profils et contrôle parental, choisir le profil tu souhaites modifier.
-Enfin, dans Paramètres de lecture, et il ne te reste plus qu’à décocher l’option sur tous les appareils.Avoir un « couvre-feu digital » : que tu t’habitudes à ne pas dépasser. Par exemple, 22 ou 23h. Ainsi, tu couperas pendant un épisode. Et tu éviteras de repousser ta nuit bien méritée.
Conscientisation : comment te sens-tu après cette session Netflix ? As-tu réellement pris du plaisir ? En général, je me pose la question et je vois vite si j’ai vraiment envie de continuer cette série ou non.
Aller au cinéma plus souvent (choix personnel) : c’est plus cher, oui. Mais l’expérience de la salle est unique. Et puis, pas de place pour du binge ou du multitasking là-bas.
À titre de comparaison, UGC illimité est à 21,90 €/mois, le Netflix Standard est à 13,99€/mois.
Redéfinir notre rapport aux outils numériques pour s’émanciper, et non s’aliéner, est un chemin de croix.
Même conscient de ces problématiques, je suis loin d’être parfait. Preuve en est : j’ai bingé Emily in Paris (oui) l’année dernière.
Il s’agit seulement de faire des efforts de réflexion pour retrouver un sens de l'intention dans ce que l’on fait de notre temps libre.
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C’est tout pour « l’épisode » d’aujourd’hui.
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A la semaine prochaine 💌
Julien
PS : j’ai co-écrit un article avec Marie Dollé de la super newsletter In Bed with Tech (je t’invite à t’y abonner)
Sources :
Romain Blondeau, L’aliénation en série
Florent Souillot et Yves Marry, La guerre de l’attention
https://www.theguardian.com/tv-and-radio/2023/sep/27/binge-watching-trend-streaming-netflix-hbo
https://mashable.com/article/why-we-feel-lost-after-a-tv-binge
https://www.dna.fr/magazine-sante/2021/12/19/binge-watching-le-danger-des-series
https://www.verywellhealth.com/binge-watching-and-health-5092726
https://www.letemps.ch/societe/sciences-humaines/escapisme-levasion-devient-une-prison
https://www.ladn.eu/media-mutants/pourquoi-series-netflix-ressemblent-toutes/
https://wistia.com/learn/marketing/science-behind-why-we-binge-watch
Encore un article très intéressant, c'est toujours important de se rappeler ce genre de choses et réfléchir à l'intention qu'on met (ou pas) derrière un film ou une série