Pourquoi est-il si dur d'arrêter de scroller ? 🤳
#1 : économie de l'attention, dopamine, et intermittence
👋 Hello, c’est Julien. Bienvenue dans le 1er numéro de Screenbreak. La newsletter pour forger une relation plus saine et intentionnelle avec ses écrans.
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Si tu as déjà ouvert une app « juste pour jeter un œil » et que tu t'es retrouvé à perdre 30 minutes.
S’il t’arrive parfois de scroller le matin avant de prononcer le moindre mot.
Cette édition est pour toi.
📖 Au programme
Le design intentionnellement addictif des apps
Le scroll infini et l’expérience de la soupe
Ce qui se passe dans le cerveau quand tu scrolles
Des astuces concrètes pour s’échapper du tourbillon
Une trouvaille insolite
🧲 Le design intentionnellement addictif des apps
En 2004, Patrick Le Lay, alors PDG de TF1, a avoué ouvertement son modèle économique : "ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible".
Cette déclaration a choqué à l’époque, mais elle n'a fait qu'énoncer crûment un phénomène qui existait déjà depuis longtemps et qui s'est intensifié avec l'avènement d’Internet et des réseaux sociaux.
On appelle ce phénomène l'économie de l'attention.
L'économiste américain Herbert Simon a été le premier à introduire ce concept en 1971. Il disait “dans un monde submergé d'informations, l'attention du consommateur devient une ressource précieuse et rare.”
Les plateformes digitales et réseaux sociaux ont un modèle économique basé sur la gratuité, ce qui signifie qu'en échange de notre attention, nous pouvons les utiliser sans frais. Leur profit provient de la vente de publicités.
Elles cherchent donc non seulement à attirer notre attention, mais aussi à la retenir le plus longtemps possible. En effet, plus elles ont d'utilisateurs actifs sur leur plateforme, plus le coût de leur espace publicitaire augmente.
Ton attention est devenu l’or du XXIè siècle.
Voici un schéma très sophistiqué pour comprendre ⤵️
Les géants de la tech (Google, Meta, TikTok, Twitter et toute l’équipe) déploient des efforts considérables, et recrutent des dizaines de neuro-scientifiques pour développer des méthodes nous rendant de plus en plus dépendants.
À Stanford, ces stratégies sont même enseignées dans un cours appelé Captology (abréviation de Computers As Persuasive Technologies).
Le « scroll infini » est un de ces éléments qui est devenu omniprésent.
Tu fais une pause d’une minute entre deux tâches, tu attrapes ton téléphone pour un petit check rapide de LinkedIn. Vingt minutes plus tard, ton pouce (ou index, il y a plusieurs écoles) est toujours en train de faire défiler, automatiquement, sans apparente limite de fin.
Un sentiment de culpabilité t’envahit aussitôt.
« Bordel, mais pourquoi je fais ça ? »
🥣 Le scroll infini et la soupe
L’inventeur du scroll infini en 2006, Aza Raskin, l’explique lui-même.
Aujourd’hui repenti, il compare son invention à un verre qui se remplirait automatiquement par le fond, sans action de notre part. Résultat : on boit « beaucoup, beaucoup plus ».
Cette affirmation est étayée par une expérience très parlante, réalisée par Brian Wansink en 2005.
Une cinquantaine d'individus a été invité à consommer de la soupe à partir d'un bol placé devant eux.
La moitié d'entre eux ont reçu des bols normaux, et l'autre moitié des bols qui se re-remplissent automatiquement (reliés à un réservoir contenant six litres de soupe, qui se déversent dans le bol via une soupape de pression).
Ils ont été informés qu'ils allaient manger une nouvelle recette de soupe à la tomate, et ont été invités à déguster autant de soupe qu'ils le souhaitaient.
Au bout de 20 minutes, les participants ont été remerciés et ont reçu un questionnaire leur demandant entre autres d'estimer la quantité qu'ils pensent avoir mangée.
Les résultats de l'expérience sont révélateurs.
Les personnes qui ont mangé dans les bols à soupe sans fond ont consommé 73% de soupe en plus en moyenne ! Ils ne pensaient pas cependant en avoir consommé plus.
L’expérience démontre que lorsque l'on mange, nous avons un repère visuel : une assiette vide signifie « j'ai fini ».
Mais, si ce repère disparaît, alors on va manger beaucoup plus. Et surtout, on va sous-estimer la quantité ingérée.
Deux conclusions :
Modifier les repères visuels concernant la quantité consommée influence la quantité mangée.
L'estimation de la consommation et la perception de satiété sont davantage influencées par ce repère visuel que par la quantité que l’on consomme réellement.
➡️ C’est exactement le principe du scroll infini : sans fin, on consomme beaucoup plus de contenu, et on perd la perception du temps. Double peine.
NB : vous ne l’aviez peut-être pas remarqué, mais Google a abandonné sa pagination historique pour le scroll infini fin 2021.
🧠 Qu’est-ce qui se passe dans le cerveau quand tu scrolles ?
En plus de changer le repère visuel, les entreprises tech se servent du fonctionnement de notre cerveau pour capter notre attention plus longtemps.
Pour schématiser, le scroll perturbe le circuit de récompense de notre cerveau, c’est-à-dire le système qui renforce positivement ou négativement notre comportement.
B.F. Skinner, pionnier de la psychologie comportementale, a montré que l’approche du « renforcement intermittent » est la plus addictive et la plus résistante à long-terme.
Imagine que tu joues à un jeu vidéo où tu gagnes à chaque fois. Sympa au début, non? Mais rapidement, la monotonie s'installe.
Maintenant, ajoute une variable : tu ne gagnes que de temps en temps, de manière imprévisible.
L'incertitude de gagner, mais avec une possibilité toujours présente ; c’est cela qui rend le jeu irrésistible.
C’est pourquoi les jeux trop simples ET les jeux trop compliqués sont évités par les créateurs. Ils cherchent l'équilibre où la victoire est possible, mais jamais assurée.
L'incertitude crée l'accroche.
Les réseaux sociaux l’ont bien compris, et c’est exactement ce qu’appliquent leurs algorithmes. Quand tu scrolles sur Instagram, Twitter ou LinkedIn, tu ne vas pas trouver un intérêt pour chaque contenu, mais seulement pour certains.
Dans ton cerveau, l'incertitude engendrée par cette mécanique libère de petites doses de dopamine à chaque fois que tu trouves quelque chose d'intéressant.
C'est cette sécrétion intermittente de dopamine qui crée un puissant cercle vicieux : on veut revivre cette sensation de récompense, alors on continue à faire défiler, espérant tomber sur le prochain contenu « dopaminergique ».
Le scroll infini joue avec notre neurochimie pour nous maintenir engagés.
Et ce n’est pas sans conséquence sur notre fatigue émotionnelle et notre santé mentale (on y reviendra dans un des prochains numéros).
Il est crucial de comprendre le problème, c’est la première étape pour agir et reprendre le contrôle de son attention.
🌀 Comment s’échapper du tourbillon ?
La facilité d'accès à un flux ininterrompu de contenu et l’intérêt variable des informations peuvent rapidement nous entraîner dans un scrolling compulsif.
Pour briser cette spirale, il est essentiel d'ajouter de la friction entre toi et cette mécanique. Voici quelques astuces :
1. Avoir une intention claire quand tu ouvres une app
Avant d’aller sur Instagram, Twitter ou LinkedIn, essaie de te demander pourquoi tu y vas, quel contenu ou créateur de contenu tu veux regarder/lire.
Le faire en autonomie n’étant parfois pas suffisant, je te conseille one sec (que j’ai déjà mentionné sur LinkedIn) qui permet de retrouver de l’intentionnalité en t’imposant un délai de 10 secondes à chaque ouverture d’une app « problématique », avant de te demander si tu souhaites vraiment y aller. Personnellement, je l’utilise avec Twitter.
2. Imposer des limites de temps et d’usage
Bloquer certains sites à des heures précises (pendant les heures de travail par exemple) et réserver certaines horaires pour consulter ces plateformes est une bonne solution.
De cette manière, ce sera plus facile de te concentrer sur tes tâches et éviter les distractions pendant les moments importants.
Mettre des limites de temps passé par jour (par exemple 30 min) peut être aussi une bonne manière de rendre ce moment plus précieux.
Deux outils efficaces que j’ai testé : Stayfocusd et Freedom.
3. Contrôler la nature des contenus
Le choix des sources d’information, des comptes ou des influenceurs que tu suis est déterminant.
Faire un tri sur ce qui apporte réellement de la valeur est crucial, afin de t’assurer que ton flux reste qualitatif et pertinent. Tu verras davantage ce qui t’intéresse, et moins ce qui te laisse indifférent. Moins d’intérêt intermittent donc.
En faisant cela, tu reviens à l’essence de ce que devrait être la consommation de contenu. Les newsletters sont des bons canaux : elles t'apportent l'essentiel, évitant ainsi une quête infinie de contenu.
4. Éviter le mode découverte
De nombreuses plateformes proposent des flux basés sur la découverte/les suggestions, ce qui facilite le scroll compulsif.
Quelques astuces immédiates :
-Youtube : se limiter à une liste de vidéos « à regarder plus tard » ou à une playlist spécifique. Et éviter les shorts !
-LinkedIn : enregistrer les éléments que tu trouves intéressant et lire ceux-ci uniquement quand tu as un moment.
-Instagram : éviter les « Reels ».
-Twitter : éviter l’onglet « Pour vous » et privilégier plutôt l’onglet « Abonnements ».
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Beaucoup d’autres solutions existent, et je les développerai dans les prochaines éditions de Screenbreak. 😎
👀 Une trouvaille insolite
Je t’ai fait scroller vers le bas jusque là. Pour finir, j’ai trouvé une petite pépite pour que tu scrolles vers le haut. Tu apprendras sûrement une ou deux choses en plus !
Voici le Space Elevator :
Je m’arrête ici pour aujourd’hui. J’espère que ce numéro t’aura apporté de la valeur !
N’hésite pas à m'envoyer un message privé sur LinkedIn ou commenter ici pour me faire un retour et me parler des sujets que tu souhaiterais voir abordés dans la newsletter.
A la semaine prochaine ! 📩
Julien