👋 Hello, c’est Julien !
J’espère que tu vas bien.
Bienvenue dans l’édition #25 de Screenbreak 💌
On est désormais 846 dans cette newsletter. Ça monte à l’allure de Kílian Jornet sur l’Everest.
D’un naturel très bavard et adorant le bruit de la foule, j’affectionne aussi particulièrement des routines matinales ultra-silencieuses.
En me faisant cette réflexion, je me suis ensuite demandé quel était le sens moderne du silence.
Est-ce l’absence de bruit en tant que tel, ou plutôt une stimulation réduite ?
Il semble être en tout cas une espèce en voie de disparition.
📝 Au programme du jour
L’assaut contre le silence
On ne peut plus se passer du bruit
Silence is power
Varier les décibels
La petite trouvaille
🕑 Temps de lecture : 7 min et 3 secondes
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C’est partiiii
⚔️ L’assaut contre le silence
La nature est capable de produire des bruits dont la puissance dépasse l’entendement.
En 1883, l’éruption du Krakatoa, en Indonésie, a généré un bruit à 276 décibels, soit 4 000 milliards de fois plus fort qu’un marteau-piqueur. Ah.
C’est le bruit le plus effroyable jamais enregistré sur Terre. À 5000km de là, des marins ont entendu l’explosion comme si c’était un tir de canon du bateau voisin.
Dans l’ombre de ces records naturels, l’humanité orchestre sa propre offensive contre le silence.
En 1945, Aldous Huxley écrivait déjà dans la Philosophie éternelle :
« Le XXe siècle est, entre autres choses, l’âge du bruit. Toutes les ressources de notre technologie quasi miraculeuse ont été jetées dans l’assaut actuel contre le silence »
Paroles prophétiques : sa présence semble bel et bien en danger d’extinction.
Le bioacousticien Gordon Hempton explore la Terre depuis 35 ans pour y découvrir les zones silencieuses, signifiant pour lui les lieux où l'on ne peut entendre que les sons émis par la nature.
Selon lui, il ne resterait plus qu’environ 50 zones où aucun bruit lié à l’activité humaine ne peut se faire entendre pendant 15 minutes d’affilée.
À l’origine, notre système auditif s’est développé pour capter les sons nous donnant des informations vitales sur notre environnement.
Prêter l’oreille permettait de maximiser ses chances de trouver de la nourriture ou d’anticiper un danger.
L’humain a donc intériorisé cette quête de nouveaux stimuli 👉 c’était la meilleure manière de survivre pour nos ancêtres.
Instinctivement, le cerveau est donc sur le qui-vive pour s’assurer que nous n’avons rien manqué d’important.
Un radar idéal quand l’environnement était pauvre en informations (99,9% de l’histoire humaine).
Le bruit sollicitait alors notre attention sporadiquement, et significativement.
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Ce penchant pour le bruit et le stimulus est aujourd’hui exploité à merveille par l’économie de l’attention, qui multiplie les techniques à une vitesse vertigineuse.
Ainsi, le nouveau bruit de la civilisation n’est pas seulement sonore (avions, train, industries etc).
Il évoque aussi le brouhaha des stimuli digitaux : notifications, mails, vidéos, pubs etc.
En 2024, on est sous perfusion constante. Tous les moments disponibles sont des terreaux fertiles pour y insérer de l’information.
Résultat 👉 une infobésité rampante, qui dépasse largement la capacité de traitement de notre bande passante.
« Nous avons des émotions paléolithiques, des institutions médiévales et une technologie quasi divine » - Edward O. Wilson
On est confronté à beaucoup plus d’informations en quelques heures, que nos ancêtres en toute une vie.
La bande-son permanente qui caractérise ce nouveau paradigme nous a déshabitué au silence et à l’intériorité.
🔊 On ne peut plus se passer du bruit
Tous les problèmes de l'humanité proviennent de l'incapacité de l'homme à s'asseoir tranquillement dans une pièce seule - Blaise Pascal
Là est la sournoiserie : l’assaut contre le silence provient de la technologie, mais il est entretenu et amplifié par nos propres habitudes.
C’est notre instinct ancestral qui se retourne contre nous. Le cerveau s’est habitué à cette intraveineuse stimulante, et s’y accroche de plus en plus viscéralement.
La recherche auparavant naturelle de stimulations s'est transformée en une quête incessante de distractions.
On ne supporte plus d’être immobile, dans le silence, avec nos pensées pour seule compagnie.
Le bruit environnant ne nous suffit plus, on s’y est habitué. On ne remarque plus vraiment les voitures qui passent et la musique ambiante des bars et supermarchés.
Il nous faut y ajouter du bruit plus stimulant.
C’est une stratégie d’évitement du vide qui s’est ancrée en profondeur dans nos cerveaux. On s’accommode de moins en moins bien avec lui.
Dès le moindre moment de flottement ou d’ennui, on prend machinalement le téléphone.
Un fond numérique accompagne chacun de nos trajets, chacun de nos mouvements. Même aux toilettes.
Toutes ces micro-interactions réflexes ont perturbé notre circuit de récompense. À l’affût, on comble le silence avec de l’auto-stimulation digitale.
Autrefois notre meilleur allié, le cerveau peut devenir notre pire ennemi : plus on cède à ces distractions, plus il en redemande.
Cet état d’urgence est présent au travail, dans la rue, à la maison : bien rares sont devenus les moments silencieux.
L’accumulation génère un brouillard mental, un sentiment de surcharge qui obscurcit l’esprit.
Et c’est normal : les bruits artificiels activent toutes les hormones du stress (cortisol, adrénaline…), augmentant la tension corporelle, et la fatigue cérébrale.
Le système auditif étant à la base un système d’alerte, il ne peut pas fonctionner en continu.
Sans pauses dans le bruit et la stimulation, nous en payons les conséquences.
C’est en prenant intentionnellement un vrai moment de silence que l’on cerne à quel point il est libérateur.
Le silence est précieux mais de plus en plus rare : le silence est d’or, mais le silence dort.
(Ce n’est pas de Nekfeu, mais bien de moi…)
🧠 Silence is power
En japonais, l’adjectif shizuka signifie « silencieux », mais aussi « calme, serein, apaisant ». L’association d’idées est claire.
Selon Michel Le Van Quyen, le système parasympathique s’active en présence du silence : le cerveau bascule dans un état qui l’aide à se détendre, à réduire le stress, et à se régénérer.
Une étude de 2013 sur des souris a même décrit un phénomène de « neurogénèse », c’est-à-dire de formation de nouveaux neurones, après des moments de silence prolongés.
Sans sollicitations parasites, le calme nous permet de développer sa capacité créatrice. Il donne lieu à la réflexion et la prise de recul.
Loin d’être vide, il porte aussi avec lui une certaine densité. Le son du silence (Simon & Garfunkel) permet de mieux écouter les signaux faibles de son for intérieur.
Peut-être est-ce dans le silence que l’essentiel se fait entendre distinctement.
C’est précisément ce qu’évoque Sylvain Tesson dans son roman Sur les chemins noirs. Il y parle de sa reconstruction, après un grave accident, grâce à la marche et au silence.
Gordon Hempton disait qu’il était un think-tank de l’âme.
Il ajoutait :
« Le silence, ce n’est pas l’absence de quelque chose, mais la présence de tout ».
Tous les bruits ne se valent pas évidemment : le son d’un fou rire ou d’un oiseau n’est pas la même nourriture cérébrale qu’un enchaînement de vidéos Tiktoks en musique accélérée.
C’est un grand défi de l’ère moderne. Faire taire la machine pour à nouveau entendre l’humain.
Comme toute chose qui devient rare et précieux, le silence devient d’ailleurs un objet de marchandisation.
Une tendance des « silent travels » voient le jour en réponse à cette généralisation du bruit constant.
Unplugged propose des week-ends digital detox en nature de 3 jours, pour employés, couples et voyageurs en solo.
D’autres entreprises ont explosé, comme Loop Earplugs qui a vendu 5 millions de bouchons d’oreille nouvelle génération en 2023.
Leur credo est d’ailleurs Your Life, Your Volume. On doit rechercher le niveau de calme, de paix mentale, de sérénité qui nous convient vraiment.
Sur l’éclosion de ce mouvement, tu peux aller checker cet article, co-écrit avec Marie d’In Bed With Tech :-)
🔔 Varier les décibels
La photo ci-dessous représente une chambre anéchoïque, où le bruit est incroyablement bas : 15 décibels.
Ce silence est tellement extrême qu’il rend audible les bruits internes du corps : on perçoit nettement les battements du cœur et les os qui craquent.
Une vraie introspection 😎
Rester dans ce lieu se révèle un exercice douloureux, anxiogène, et même parfois hallucinogène. Les courageux visiteurs y passent 20 minutes en moyenne.
Le silence absolu est donc une chimère.
Ce que l’on doit chercher c’est au moins la réduction des couches sonores.
Aujourd’hui, le numérique fait en effet souvent office de sur-couche.
Il est crucial pour moi d’instaurer des petits moments de silence digital dans la journée 👇
Une marche sans musique dans les oreilles
Un déjeuner sans regarder une vidéo YouTube
Une séance de sport sans écouter de podcast
Je mets un point d’honneur à progresser sur le fait d’embrasser tous les jours des moments hors-ligne, et de mode avion.
C’est un acte de résistance, mais aussi un moyen de mieux préserver mon cerveau et ma clarté mentale.
Faire le choix intentionnel de ne pas être stimulé en permanence. Décibels décidés.
Quitter temporairement, même quelques minutes, le tourbillon numérique.
J’apprécie d’ailleurs autant mes moments d’agitation, certains diront d’hyperactivité, que mes moments d’introspection silencieuse.
Il devient précieux à mon sens de cultiver certains oasis de calme.
Un autre angle pour réfléchir à son utilisation de la technologie, et réaffirmer notre souveraineté sur elle.
Vous avez le droit de garder le silence.
Je pense 99 fois et ne trouve rien. Je cesse de penser, je nage dans le silence et la vérité me parvient. - Albert Einstein
🍀 La petite trouvaille
J’ai découvert Noisli il y a quelques temps : une aubaine pour mon affection cheloue des bruits de nature, de pluie ou de feu qui crépite en travaillant. On peut même mixer le tout.
C’est tout pour aujourd’hui.
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A la semaine prochaine 💌
Julien
PS : je travaille actuellement sur des formats d’1h pour sensibiliser aux problématiques de l’attention, de la concentration et de l’hyper-connexion en entreprise.
Si tu peux être intéressé, envoie-moi un message LinkedIn pour en discuter.
Sources :
https://hbr.org/2021/07/dont-underestimate-the-power-of-silence
https://www.cntraveller.com/article/silent-travel-wellness-trend
https://usbeketrica.com/fr/article/le-silence-un-luxe-en-voie-de-disparition
https://www.courrierinternational.com/une/sante-le-pouvoir-du-silence
https://www.vox.com/even-better/24042177/alone-thoughts-rumination-thinking-for-pleasure
https://www.telerama.fr/idees/comment-le-monde-actuel-a-privatise-le-silence,138904.php
https://www.switchonpaper.com/environnement/anthropocene/anthropophonie-ou-lextinction-des-sons/
« Le silence, ce n’est pas l’absence de quelque chose, mais la présence de tout ».
Amen.
Très intéressant !