👋 Hello, c’est Julien !
J’espère que tu vas bien.
C’est l’heure de ton date du lundi : l’édition #32 de Screenbreak. 💌
Et on va réellement parler d’amour aujourd’hui.
Le 14 février dernier, jour de la Saint-Valentin, un recours collectif a été déposé en Californie contre Match Group, qui possède entre autres Tinder, Hinge et même Meetic.
En cause : des fonctionnalités qui viseraient la dépendance de leurs utilisateurs, dans le seul but de réaliser du profit.
L’occasion rêvée de creuser le marché et les mécanismes des applications qui trustent le marché amoureux depuis 10 ans.
NB : même si tu n’y as jamais mis les pieds, ça va t’intéresser.
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Les nouveaux Cupidons
Business model
Amours et dépendances
Le « dating burnout »
L’important, c’est ce que l’on ne voit pas
🕑 Temps de lecture : 6 min et 35 secondes
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C’est partiiii
🏹 Les nouveaux Cupidons
En 1995, une révolution frappe l’univers des rencontres amoureuses : le lancement de Match.com. Le premier site en ligne pour trouver l’âme sœur.
Jusqu’alors, en dehors des rencontres dans « la vraie vie », les célibataires les plus déterminés avaient recours aux petites annonces dans les journaux pour forcer le destin.
En 2012, une deuxième révolution vint bousculer l’ordre établi : Tinder est né.
Ce qui fit sa popularité fulgurante ? Un petit geste simple de balayage de l’écran.
C’est l’apparition du swipe. Littéralement, « faire glisser ».
On swipe vers la droite si on est intéressé par un profil, vers la gauche si on ne l’est pas. Si l’intérêt est réciproque, c’est le match. La discussion peut démarrer.
Depuis, de nombreuses applications ont vu le jour, chacune avec des spécificités différentes.
On va malgré tout surtout parler de Tinder aujourd’hui : la plus emblématique du mouvement, et celle qui a grandement inspiré les autres.
Aujourd’hui, les applications de rencontre constituent un moyen crédible de rencontrer des partenaires.
30% des Français en ont déjà fait l’expérience en 2021, contre 11% en 2011. Et en 2021, 22% des nouveaux couples s’étaient formés via les applis.
En 2023, Tinder comptabilisait dans le monde 👇
75 milliards de matchs
530 millions de téléchargements
1,9 milliards $ de chiffre d’affaires
Tinder est même devenu en 2019 l’application la plus rentable (hors jeux) de l’Apple Store, détrônant Netflix.
Première surprise, j’ai compris que le marché était un duopole.
Aux US et en Europe, 91% des utilisateurs payants d’applications de rencontres proviennent de 2 entités 👇
Les deux acteurs rachetant agressivement tous les concurrents qui pourraient poser problème.
💰 Business model
À l’instar des réseaux sociaux, l’enjeu fondamental pour une app est l’acquisition, la rétention et la monétisation de leurs utilisateurs.
Il y a un défi spécifique pour les apps de dating, que j’ai nommé le challenge de l’équilibriste.
Il faut à la fois 👇
Garder un grand réservoir de célibataires sur l’app : rétention et monétisation
Faciliter des relations dans la vie réelle qui viennent légitimer la pertinence de l’app auprès du grand public : acquisition
Mais comment, concrètement, ces apps gagnent-elles de l’argent ? Prenons l’exemple de Tinder.
Premièrement, il y a les publicités ciblées. Tu offres des données sur toi en échange de la gratuité du service. Et Tinder est rémunéré par des annonceurs en te poussant leurs pubs. Comme un réseau social classique.
Deuxièmement, et ce qui est de loin le plus rémunérateur, c’est son modèle freemium : le service de base est gratuit, mais Tinder propose divers abonnements et fonctionnalités payantes.
Et bientôt le niveau ultime : pour la modique somme de 500€/mois, Tinder Vault devrait sortir cette année.
Exemples de fonctionnalités premium 👇
Likes illimités : avec un abonnement premium, c’est sans restriction.
Super Likes : une façon de montrer directement à quelqu’un qu’il/elle t’intéresse, même si la personne n’a pas encore vu ton profil.
Tinder Boost : met le profil de l’utilisateur en haut de la pile pendant une certaine période, ce qui augmente considérablement la visibilité et les chances d’obtenir des matchs
Découvrir qui a liké son profil sans besoin de swiper
🧠 Amours et dépendances
Pour être honnête, je n’ai jamais utilisé les apps de rencontre. Et malheureusement, je ne les ai pas installé pour les besoins de cette édition, car quelqu’un me ferait la gueule.
J’ai malgré tout trouvé ça intéressant de creuser.
Quel est le contenu exact de la plainte contre Match Group ?
« Leur objectif est de transformer les utilisateurs en joueurs, enfermés dans une quête de récompenses psychologiques que Match rend volontairement insaisissables. Ces apps enferment des utilisateurs dans une boucle de paiement perpétuel qui donne la priorité aux profits de l'entreprise plutôt qu'à ses promesses marketing et aux objectifs relationnels des clients »
De leur côté, Match Group se défaussent de toute responsabilité, estimant que cette plainte n’a aucun fondement, et que leur seul but est de créer le plus d’amour possible dans le monde.
Bon, en regardant, il y a quand même de nombreux dark patterns.
3 grands principes sont forgent la base des fonctionnalités de Tinder, et sont caractéristiques du marché de l’attention 👇
1. Récompense variable
B.F. Skinner, pionnier de la psychologie comportementale, a démontré que la technique du « renforcement intermittent » est la plus addictive et la plus résistante à long-terme.
Lorsqu'un utilisateur swipe, puis obtient des matchs de manière imprévisible, cela crée une anticipation excitante.
Ce qui se passe, c’est que le cerveau vient récompenser cette recherche du match par une sécrétion de dopamine, associée à un sentiment de gratification intense. Ce qui va nous motiver à réitérer ce comportement. De plus en plus fréquemment.
C’est la mécanique de la machine à sous. Un biais cognitif qui facilite l’apparition de comportements compulsifs.
L’inventeur du « swipe right » et ancien CTO de Tinder, Jonathan Badeen, explique lui-même qu’il s’est grandement inspiré de la théorie de Skinner. Si ça, c’est pas une preuve.
2. Validation de soi
Avoir un match ou un like peut répondre sur le moment au besoin de validation sociale, renforçant l'estime de soi. Un like = une preuve à soi-même de son potentiel d’attractivité.
Judith Duportail dans son livre l’Amour sous algorithme, évoque ces réactions comme des « ego-shoot », ou du « narcissisme en intraveineuse ».
Et c’est normal. La quête de validation est quelque chose que l’on cherche naturellement à obtenir, surtout dans des périodes de vulnérabilité ou de solitude.
C’est là où le bât blesse : cette mécanique peut aussi engendrer l’inverse quand cette quête n’est pas satisfaite. On y reviendra un tout petit peu plus tard.
3. Effet de nouveauté et FOMO
Notre cerveau est attiré naturellement par toutes les nouvelles informations qui peuvent lui parvenir : le flux constant de nouveaux profils à évaluer permet de satisfaire super simplement cette inclinaison. Sans le moindre effort.
Ce poursuite de la nouveauté maintient l'utilisateur engagé, désireux de découvrir qui est le prochain ou la prochaine.
Le corollaire de l’effet de nouveauté est le FOMO : on a progressivement de plus en plus peur de manquer quelque chose, ou ici, quelqu’un.
Et Tinder en profite 👇
Ces notifications sont légions et ancrent l’habitude d’ouvrir instinctivement une app pour vérifier que l’on n’a rien manqué. Même plus besoin de notifications à partir d’un moment.
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Tinder utilise donc des biais psychologiques pour capturer du temps, de l’attention, et in fine de l’argent. La même mécanique que les réseaux sociaux.
L’objectif n’est donc pas (en tout cas pas seulement) d’aider à trouver l’amour : c’est donc une marchandisation des cœurs ?
Hinge a l’air de faire office d’exception, se proclamant « conçue pour être supprimée ». Disponible depuis 2023 en France, elle connaît une popularité grandissante.
Se définissant elle-même comme un anti-Tinder, elle a malgré tout la même maison mère, Match Group. C’est cocasse.
🤯 Le « dating burnout »
Malgré leur promesse, les apps de rencontre engendrent parfois des effets pervers significatifs sur la santé mentale. En témoignent les 6 qui ont porté plainte.
En 2022, 88 % des utilisateurs déclaraient avoir déjà désinstallé toutes leurs applications de rencontre au moins une fois.
Parmi ceux-là, seulement 31 % l’ont fait car ils avaient rencontré une personne qui leur convenait.
Les 69 % restants ont quitté les applications par lassitude, pour leur caractère chronophage ou suite à des mauvaises expériences.
La frustration fait partie intégrante du modèle, car c’est un moteur puissant pour l’achat.
Ce qui revient le plus dans les témoignages est que la nouveauté excitante du début est remplacée progressivement par une fatigue liée à des conversations qui n’aboutissent à rien, mais également la déshumanisation de certains rapports, qui deviennent fades et répétitifs.
Le « ghosting » s’est imposé comme un acte normalisé et intériorisé. 53 % des hommes et 80 % des femmes admettent l’avoir déjà fait. Faute au système d’abondance que les apps de dating génèrent.
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L’un des aspects les plus préocuppants des applications est la sollicitation intense et répété du système dopaminergique, qui engendre le phénomène de tolérance.
Plus on s’habitue à recevoir des shots de dopamine, plus on aura besoin de doses fortes pour ressentir une satisfaction équivalente.
C’est la mécanique de toute dépendance, qui vient progressivement abîmer la santé mentale.
70% des utilisateurs britanniques estiment d’ailleurs que les applications de dating leur ont causé des problèmes de santé mentale. Un tiers de ceux-ci évoque même une dépression.
Et ce « dating burnout » commence à se voir.
Tout le groupe Match, ainsi que Bumble ont perdu 40 milliards de capitalisation boursière depuis 2021.
Faute à des difficultés à séduire les jeunes utilisateurs, et à augmenter significativement leurs ventes d'abonnements.
Un retour à la réalité ? (dans tous les sens du terme)
🐾 L’important, c’est ce que l’on ne voit pas
Cette newsletter n’est pas une critique univoque et totale des applications de rencontre, qui ont permis à beaucoup de gens de se rencontrer, à des couples de se former.
Le message que chaque médaille a son revers dans le monde digital. Il ne faut pas oublier une chose évidente mais parfois survolée : les apps que l’on utilise gratuitement sont des business.
Les enjeux du marché de l’attention ne résident pas dans ce que l’on voit des applications, mais dans ce qui est invisible.
Des mécanismes subtils et toujours plus sophistiqués orientent nos comportements en ligne, nous poussant souvent à y passer plus de temps que l’on voudrait, ou dépenser plus d’argent que prévu.
Il est essentiel de comprendre comment le cerveau fonctionne et réagit aux stimuli numériques.
Cette sensibilisation peut progressivement permettre de naviguer sur les écrans avec plus de discernement, en reconnaissant quand notre engagement devient compulsif plutôt qu’intentionnel.
Et surtout, quand il est aligné avec nos besoins, nos objectifs et nos valeurs.
C’est pour aider à cette mission individuelle et collective que Screenbreak s’est créé. Reprendre le contrôle.
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C’est tout pour aujourd’hui. Est-ce que tu swipes à droite sur cette édition ?
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A la semaine prochaine 💌
Julien
Sources :
https://www.letemps.ch/societe/juge-trop-addictif-tinder-est-attaque-en-justice
https://theconversation.com/pourquoi-les-applications-de-rencontre-nous-deshumanisent-elles-184672
https://bigmedia.bpifrance.fr/decryptages/applications-de-rencontre-un-marche-comme-un-autre
https://www.nationalgeographic.com/science/article/dating-apps-psychology-addiction-lawsuit
https://www.latribune.fr/opinions/blogs/homo-numericus/je-scrolle-tu-swipes-935164.html
Passionnant ! Comme à chaque fois
Excellente édition Julien 👏